#Etude : les médias publics et privés sont des alliés et non des ennemis !
Le Centre de recherche opinion publique et société (fög) de l’Université de Zurich sur mandat de la Fondation Kurt Imhof pour la qualité des médias, Zurich vient de publier son traditionnel « Annuaire sur la Qualité des média » pour l’année 2024.
L’Annuaire 2024 met l’accent sur trois thèmes : le rôle de SRG SSR sur le marché suisse des médias, l’acceptation de l’intelligence artificielle (IA) dans le journalisme du point de vue de la population et la perception des deepfakes.
1-L’impact du public sur la consommation des médias privés
L’étude approfondie n’apporte aucune preuve empirique à la thèse souvent avancée selon laquelle les médias publics supplanteraient les médias d’information privés. Les données sont formelles et confirment tout d’abord que l’utilisation des contenus de la SSR à des fins d’information est positivement corrélée à l’utilisation des offres de médias privés. Cela vaut aussi bien pour les médias hors ligne que pour les médias en ligne. Les utilisateurs de la SSR utilisent également les médias à abonnement payant significativement plus souvent que les non-utilisateurs de la SSR.
Ces résultats soulignent que l’utilisation des médias publics complète et ne remplace pas l’utilisation des offres d’information privées. En outre, la part des utilisateurs qui se contentent exclusivement des offres d’information en ligne de la SSR est très faible au sein de la population. L’ étude confirme ensuite qu’il n’existe aucun lien, ni positif ni négatif, entre l’utilisation des offres de la SSR et la disposition à payer pour les contenus journalistiques des médias privés. Nous ne pouvons donc pas confirmer un « crowding out », c’est-à-dire une concurrence trop forte des médias d’information privés par les offres de la SSR sur le marché de l’utilisation. Notre analyse suggère que les médias publics et privés devraient travailler ensemble pour trouver des solutions plutôt que de s’affronter, car une grande partie des problèmes sont dus aux bouleversements provoqués par les grandes plateformes technologiques.
Les utilisateurs de la SSR consomment plus souvent des médias à abonnement payant (61,4 %) que les non- utilisateurs de la SSR (38,2 %), tous canaux confondus. De même, les médias pour pendulaires et de boulevard sont plus souvent consommés par les utilisateurs de la SSR (75,1 %) que par les non-utilisateurs (58,2 %), tous canaux confondus. Les Suisses utilisent donc généralement les offres d’information de SRF ou de la RTS en complément de celles des fournisseurs d’information privés. Cela vaut également pour le domaine en ligne. Les utilisateurs de la SSR sont ici aussi régulièrement des utilisateurs multiples. Les utilisateurs de la SRF ou
de la RTS en ligne accèdent un peu plus souvent à l’offre en ligne des médias pendulaires et de boulevard (73,1 %) et nettement plus souvent à l’offre en ligne des médias à abonnement (50,8 %) que ceux qui n’utilisent pas la SRF ou la RTS en ligne (69,3 % et 37,7 %).
L’utilisation principalement complémentaire des offres d’information en ligne de la SSR se manifeste également sur un autre point : le
groupe des utilisateurs exclusifs de la SSR, qui se contente exclusivement des news en ligne de la SSR et qui n’utilise pas d’informations en ligne, est plus important que celui des autres utilisateurs. Seuls 3,5% des Suisses interrogés sont des utilisateurs
exclusifs en ligne de la SSR.
2- IA et journalisme : quel impact ?
Le scepticisme s’est renforcé à l’égard de l’utilisation de l’IA dans le journalisme : près des trois quarts des personnes interrogées estiment que les risques de l’IA dans le journalisme sont élevés, plus élevés que dans d’autres domaines de la société comme la politique ou l’armée. De nombreuses personnes interrogées anticipent des effets négatifs sur la qualité des médias, la plus forte étant une augmentation des fausses nouvelles.
L’utilisation de l’IA pour les traductions, les analyses de données ou les recherches finit par être soutenue par la majorité du public. Mais plus l’IA intervient directement dans l’output journalistique, comme par exemple dans la production de textes ou d’images, plus le scepticisme est grand. En accord avec cette attitude globalement sceptique, de nombreuses personnes interrogées attendent des médias qu’ils fassent preuve de transparence dans l’utilisation de l’IA et souhaitent une publication détaillée.
De même, les personnes interrogées attendent des fournisseurs de médias qu’ils assument toujours l’entière responsabilité des contributions générées par l’IA. Dans l’ensemble, ces résultats indiquent également que le public accorde une plus grande valeur au journalisme créé par l’homme. Cela s’explique par le fait que les personnes interrogées sont également favorables à ce que les fournisseurs d’IA ou les plateformes technologiques dédommagent les médias d’information lorsqu’ils utilisent leurs contenus et leurs données.
Ce tableau ci-dessous montre comment les personnes interrogées évaluent les effets de l’IA sur différents aspects de la qualité des messages (n = 1254). Exemple de lecture: 56,9 % des personnes interrogées s’attendent à ce qu’une utilisation accrue de l’IA entraîne une baisse de la qualité des informations.
3. La peur des Deefakes
les deepfakes font l’objet d’une attention croissante dans les médias, mais qu’ils restent encore un sujet de niche – bien qu’environ la moitié de la population ait déjà vu des deepfakes. L’enquête menée en parallèle a également révélé qu’une consommation plus fréquente de médias journalistiques est en corrélation avec une plus grande notoriété des deepfakes. Toutefois, l’utilisation de médias journalistiques ne contribue pas à ce que les gens acquièrent des connaissances plus détaillées, par exemple la capacité de définir avec précision les deepfakes. Au lieu de cela, les personnes qui utilisent particulièrement les plateformes vidéo comme YouTube y rencontrent non seulement plus souvent des deepfakes, mais en savent aussi plus à leur sujet. De plus, la population a du mal à distinguer les deepfakes des vraies vidéos. Cela souligne l’importance d’une intensification des méta-reportages et de l’éducation sur les thèmes de l’IA et des deepfakes.
Qualité des médias
La particularité de cette étude est d’analyser l’évolution de la qualité des médias.
Comme les années précédentes, les émissions de radio (7,7) et de télévision (7,5) du service public de radiodiffusion sont en tête du classement, bien que la diversité diminue à long terme. En termes de qualité, les émissions de radio SRF Echo der Zeit (8,1) et SRF Rendez-vous (7,9) restent la référence.
Les portails en ligne de SRG SSR (6,3) ont en revanche perdu près d’un point de score depuis 2015, mais continuent d’offrir une pertinence et une diversité élevées.
La télévision privée (6,4) s’est améliorée depuis 2020 et se distingue particulièrement par sa grande pertinence et en partie aussi par sa diversité. Il est intéressant de noter que Léman Bleu (7,5) et de plus en plus TeleTicino (7,4) atteignent depuis quelques années des valeurs aussi bonnes que les offres de SRG SSR dans plusieurs dimensions.
Les journaux du dimanche et les magazines (6,0) sont au-dessus de la moyenne en ce qui concerne les prestations de classement, mais en dessous de la moyenne pour ce qui est du professionnalisme et de l’objectivité.
Les journaux à abonnement, imprimés (6,2) et en ligne (6,4), obtiennent des scores similaires, car leurs contenus se recoupent fortement, les éditions en ligne offrant toutefois une plus grande diversité en 2023.
Online Pure (6,0) reste légèrement en dessous de la moyenne, avec de grandes différences de qualité au sein de ce type. Depuis 2022, outre Watson.ch, nau.ch et blue News (bluewin.ch), les offres Heidi.news et re- publik.ch sont également prises en compte.
Les médias de boulevard et les médias pour pendulaires montrent une amélioration à long terme, notamment dans la pertinence et la diversité, car ils publient davantage de hard news.